Je me souviens…
De mon intérieur dévasté par le divorce de mes parents, mon changement de lycée en plein milieu d’année où j’étais entrée en sixième en 1966, l’interdiction de mettre des pantalons au lycée à cette époque ! La tristesse qui m’accablait, mais les copines !… C’était l’époque des relations d’amitié forte, on enterrait des pactes dans la forêt, on rêvait du Prince, on guettait les garçons des Beaux-Arts, émerveillées que l’on puisse consacrer ses études à la peinture…
En 1968, j’étais en quatrième. La veille de la grève générale, j’avais fait ma communion solennelle, et le lendemain j’avais une composition de latin. Pas très au point dans les révisions ce jour-là… Alors que je me faisais fort d’être une excellente élève en français : je passais dans les classes lire mes rédactions, et j’avais eu le prix d’excellence en français au lycée Marcelle Pardé de Dijon à titre contumace, si je puis dire… puisque je l’avais quitté en plein milieu d’année pour le lycée Charles Nodier à Dole, où mes grands-parents paternels récupéraient deux enfants laissés pour compte par une jeune mère de 30 ans, enfuie à Paris avec son amant.
Le choc, à Dole, quand j’ai reconnu, en photo sur le journal, ma prof de français avec mon prof de dessin dans une manifestation. Je les vivais comme très sages ! Des fiancés un peu cul-cul et bien rangés ! Jean-Louis Langrognet, notre prof de dessin, nous appelait obstinément par nos noms de famille. Ce qui pour des petites jeunes filles de 13 ans faisait l’effet d’être traitées comme des légionnaires, quelque chose qui relevait en tout cas du masculin, voire du militaire, et laissait dans l’oreille et dans le corps une drôle d’impression désagréable, d’être mauvaises. On se souvient toujours très nettement des personnes qui nous ont fait peur ou souffrir quand on est pré-adolescente : « Dornier, c’est vous qui avez fait ce dessin ? » braillait-il, en brandissant le magnifique croquis de mon père : l’exécution parfaite, trop parfaite de sa commande : « Prenez une feuille blanche, froissez-la dans votre main, dépliez et dessinez ce que vous voyez ! ». Exécution ! Mon père, juteux chef dans l’armée de l’Air, barbouilleur à temps perdu, ne s’était pas fait prier : mon dessin méritait le Louvre, pas moins ! Mais c’est bon, comme enfant mauvaise, j’avais déjà ma dose : coincée dans une blouse rose, cheveux gras, maigre et yeux sombres, je me trouvais ringarde au possible avec les habits que ma grand-tante m’avait cousus : velours pourpre, jupe de vieille, chemisier à col en dentelle. Je sentais le vieux, j’étais vraiment mal dans ma peau. Nous regardions les Grandes débattre, dans ce lycée sage, exclusivement féminin, et dans cette province, à part le fait que nous n’allions plus au lycée en mai 68, rien de grave… Pas de pavés, nada ! Une bourgeoisie campagnarde prudente, plutôt à droite, dans ses jardins bien acquis, des générations de Dornier qui ne bougent pas de leurs villages depuis longtemps… Mais moi, je voulais voler !