Education : où vont les chemins Blanquer ?

Un peu comme ces chemins forestiers, dont on se demande s’ils vont aller – longtemps – quelque part, et s’il y a risque de rencontrer le loup… sont les chemins de Jean-Michel Blanquer, notre ministre de l’EN, celui qui, à croire quelques sondages, serait le préféré, le chouchou des Français, dans ce poste ou ce rôle. Plutôt ce rôle, car, en ce domaine comme en d’autres, ce sont bien les rôles que distribue le metteur en scène Macron ; signaux plus que vraies décisions, affichages et drapeaux, bref, la couverture soignée et 3 lignes d’intro plutôt que le livre complet. Même en admettant que, supprimer le portable dans les cours de récré (dont on sait malheureusement à quel point cela sera compliqué sinon impossible tel que dit dans la loi), ou le rétablissement des blouses – lol au centuple – soient ce qui mobilise les applaudissements des foules, sensibles également au côté CPE-surveillant général qui « en a » du personnage, face au sourire « inoffensif » de la précédente dans le poste ; même en limitant cette popularité à quelques affichages bâclés, cela interroge une fois encore, mais plus qu’avant, sur la nature des demandes en France en termes d’éducation, et sur les positionnements ou postures des ministres pour y répondre… On avance, on avance ??
Dès son entrée en piste, dans le gouvernement où étaient censées se mélanger en un joyeux camaïeu de couleurs, et la droite, et la gauche, lui, au moins, c’était clair : pour nous, membres de la communauté éducative, grincements de dents : ouh là ! En voilà un qui habitait de longue mémoire deux ensembles de qualificatifs : – très (très) à Droite, et réac bon teint (je précise que c’était l’avis aussi de certains membres de son camp !). Il suffisait de se souvenir de deux ou trois marqueurs ; par exemple ce projet de repérage des élèves en risque pour les apprentissages dès la maternelle (2009, il est alors directeur de l’enseignement scolaire auprès de L. Chatel, ce très regretté ministre). Ancien recteur de l’académie de Guyane – spécialiste et connaisseur de l’Amérique Latine – puis de celle de Créteil (plus original, pour lui, là ), il y conduisit des projets – partenariat avec Sciences Pô, pour le haut du panier des lycées de banlieues, et mise en place des Internats d’excellence. Bien ! mais que fait-on des autres, les ordinaires, et les moins bons ? Faut-il tuer d’entrée, en sus, ces perdus du scolaire, et demain de la vie, ceux dont certains enseignants n’hésitent pas à dire qu’ils font perdre le temps des autres. On reconnaîtra là comme un copié collé avec la substance de la politique Macron en tous domaines ou presque : faire pour les meilleurs, faire émerger et exploser leurs besoins, leurs talents, à ceux-là, point. On ne le dira jamais assez : le maître étalon de nos gouvernants et notamment du chef de l’exécutif, c’est la tête de classe (accessoirement, ceux qui méritent d’y accéder).
On a vite et dès les premiers mois reconnu la marque de fabrique lorsque sont parus les décrets revenant sur le ministériat honni de Najat Vallaud-Belkacem : rétablissement des classes bilangues en collège, renforcement des langues anciennes et du grec notamment, travaux interdisciplinaires rendus facultatifs, renforcement de l’autonomie (floue) des établissements et entre autres du rôle de « chef » d’établissement, prié de décupler des fonctions d’autorité qu’il n’a pas. Mesures (non négociées) rendues notamment possibles par le manque de cohérence et l’insuffisant soutien, lors du précédent quinquennat, de syndicats comme le SNES (soit dit en ancienne militante…).
Proche du think tank « Institut Montaigne », dont on sait le penchant pour le courant libéral de l’enseignement, ami de Juppé, mais (en même temps ?) écoutant SOS éducation, qui marche dans l’ombre de Sens Commun, Blanquer est – cela ne peut lui être reproché – un intellectuel qui connaît plutôt bien la maison EN, et peut prétendre en être un technocrate (je ne saurais du reste, m’en plaindre, nous avons eu tellement de dirigeants venus d’autres planètes). Cependant, cette familiarité ou connaissance de l’intérieur- que double probablement un caractère autoritaire et une insuffisante validation des pratiques de concertation - a tendance à lui faire porter – voire imposer – sans laisser place au doute, des démarches, des dispositifs, interrogeants pour la suite : ainsi de ces manuels scolaires qui seraient choisis unilatéralement par le ministère ?? Mauvaise lecture du jacobinisme ou retour des bibliothèques du Maréchal ?
L’ennemi, la cible demeurent – dans la littérature ministérielle ou partisane LREM, et Droites – la pédagogie liée aux sciences de l’éducation,« ce constructivisme, diable des années 80 », comme disait, dans une matinale radio, une enseignante touchée par la grâce blanquérienne, auteure d’un « La génération qui dit j’ai le droit ». Blanquer et les siens, assurés de plaire à une partie notable de l’opinion, avec ou sans enfants, parlent encore couramment (étrange langue véhiculaire de tous les conservatismes) le « sus au supposé pédagogisme ». D’autant plus regrettable que – un frémissement, peut-être ! – je sens actuellement en cet homme des points de vue, presque des convictions, qui me font dresser l’oreille avec intérêt : ainsi de ce Conseil scientifique de l’éducation, qu’on met en place, piloté – excusez du peu – par Stanislas Dehaene, titulaire d’une chaire de psychologie cognitive expérimentale. Où les neurosciences, la connaissance du cerveau dont on sait le dynamisme de la recherche le concernant, s’invitent dans la classe, venant comprendre (et demain, s’il vous plaît, tenir compte !!) les modes d’apprentissage de nos gamins. Qui serait opposé ? Qui n’en comprend la nécessité ? « apprendre, oui, mais comment ? » disait Philippe Meirieu, il y a déjà longtemps. Je fais partie de ceux dont le travail avec les enfants n’a pu se faire sans la connaissance des modes d’apprentissage ; je souhaite donc vivement que ce regard de Blanquer soit autre chose qu’un mode de modernité communicante, autre chose qu’un vernis, ou qu’un leurre. Qu’enfin notre EN, dont la sclérose et le conservatisme ne sont plus à démontrer, s’empare dans sa réflexion d’autres outils que les seules déclinaisons latines, chronologie et le toutim. Que – principale urgence à mon sens – l’enfant qui apprend, celui-ci, celui-là peut-être différent du premier, ses modalités, ses rythmes, ses représentations antécédentes, tout ça parmi tant d’autres paramètres, entrent enfin en ligne de compte au même titre que la méthode de lecture ou de calcul, ou le rapport aux éléments qui structurent le temps ou l’espace. Bref, qu’enfin, on finisse par utiliser les bases de données mises en place aux frais de la République et depuis si longtemps, par les Sciences de l’éducation, leurs erreurs, leurs formidables avancées, aussi. Alors, si cela doit être mené par un Blanquer, réac type, tant mieux ; ce ne serait pas la première fois qu’il y aurait des surprises, mettant à mal les représentions trop caricaturales des uns ou des autres ! Cependant, ce que je lis ici ou là sur ce comité scientifique invite à une certaine méfiance ; ces expériences scientifiques pures pourraient contribuer à éviter des chemins plus qu’erronés en matière de lecture et plus sûrement de calcul – la dyslexie, la dyscalculie qui minent tant d’élèves, verront peut-être de solides réponses apparaître, mais on sent bien qu’il n’y a pas là substitution au champ des sciences de l’éducation, mais bien au contraire, invitation à une collaboration étroite, ce que je veux espérer, mais qui est en l’état un simple chantier ouvert.
Attendons, donc ; ayons la courtoisie de l’attente, parfois si rare alors que la démocratie l’exige, mais sans nourrir d’espoirs hors sol ; en matière d’éducation, comme en d’autres, l’attitude citoyenne la plus efficace reste encore la vigilance.
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Commentaires (4)
bernard Péchon Pignero
Quant à savoir si les intentions de ce ministre sont plus démocratiques ou moins, plus à droite ou à gauche, c’est comme pour son jeune patron, on finit par se dire que ce n’est pas la question essentielle. On s’est heurté à tant d’impasses au nom de l’égalité des chances et de la démocratie qu’on se dit qu’il faut en finir avec les généreuses intentions qui placent nos résultats scolaires en queue de peloton des pays avec lesquels nos enfants devront compter s’ils veulent faire leur place au soleil de la mondialisation. Vigilance bien sûr mais fatalisme aussi. Hélas !
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martineL
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Jean-François Vincent
Donc un « et, et », comme Macron : un « et à gauche, et à droite ». Mais surtout un « à droite », comme Macron. D’ailleurs un authentique conservateur – déclaré et assumé – l’académicien Alain Finkielkraut ne s’y trompe pas : il aime !
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martineL
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