Présidentielles : vers des scénarios du pire ?

Tous les commentateurs nous disent, et les français ressentent très bien cela, que les élections présidentielles d’avril-mai 2017 sont devenues complètement « folles », en rapport avec les cinq candidats qualifiés de « grands » par les médias, par rapport aux six autres longtemps appelés « petits » ! Mais, il y a autre chose de beaucoup plus grave : c’est le fait que pourraient se produire ce que j’appellerais pour cette chronique des scénarios du pire. Pourquoi cette expression ? Et pourquoi le pluriel ? Tout simplement surtout en raison de la possible – même si elle ne semble pas probable – arrivée au pouvoir de Marine Le Pen, ou de celle, de plus en plus improbable (même si…) de François Fillon. Et il y a enfin, à un niveau qui n’est certes absolument pas comparable (je le montrerai dans la dernière partie de ma chronique), ce que certains considèrent comme relativement risqué avec l’élection éventuelle d’Emmanuel Macron, qui serait privé, selon eux, d’une majorité présidentielle lors des législatives de juin, ce qui pourrait rendre la France ingouvernable (?) Je vais analyser ces trois cas de figure, en hiérarchisant, bien entendu, ces scénarios plus ou moins problématiques pour l’équilibre de notre démocratie actuelle.
Il convient de commencer – cela va de soi – par la façon dont notre pays pourrait vivre des mois (voire davantage) particulièrement graves en cas de victoire sur le fil de Marine Le Pen et du parti front-nationaliste, bien que la candidate frontiste n’ait pas d’alliés pour franchir la barre des 50% des suffrages exprimés plus un pour le second tour (ce que certains appellent « le plafond de verre »). Pourquoi, en se projetant vers un futur de ce type, la situation de la France pourrait-elle devenir vraiment gravissime ? En premier lieu, au moment du choc provoqué par son élection comme présidente, il y aurait probablement des manifestations de rue beaucoup plus importantes encore (et dures) que celles qui avaient suivi et suivent encore l’élection (légale, mais non légitime par rapport au suffrage universel) de Donald Trump aux États-Unis ; et pourquoi pas des troubles opposant manifestants et contre-manifestants, un peu comme assez récemment au sein de la Turquie de Recep Tayyip Erdogan ?! En second lieu, Marine Le Pen aurait-elle une majorité lors des élections législatives de juin face aux résistances démocratiques auxquelles je viens de faire allusion et qui pourraient déstabiliser positivement une partie importante des électeurs voulant rectifier le tir en lui imposant une sorte de « cohabitation » (avec quel premier ministre ?)… ? En troisième lieu, on assisterait, avec la sortie de la France de la zone euro, à un risque de tangages – voire à une dislocation progressive – dans l’Union Européenne, car que serait celle-ci sans le fameux « couple franco-allemand »… ? En quatrième lieu, le franc – auquel nous reviendrions – serait attaqué (dans le cadre d’une spéculation à la baisse) par les investisseurs étrangers ! Il connaîtrait des dévaluations en cascades, qui ne seraient absolument pas « compétitives », puisque, si les prix de nos produits à l’exportation seraient moins chers, toutes nos importations (par ailleurs bien plus conséquentes) subiraient, avec des mesures de rétorsions de la part de pays comme la Chine ou les États-Unis, des renchérissements considérables ; d’où un déficit de plus en plus marqué de notre balance commerciale et un franc devenant ce que l’on appelle une « monnaie de singe », c’est-à-dire perdant de plus en plus de sa valeur, jusqu’à un possible effondrement (?) En dernier lieu, et inévitablement les taux d’intérêt augmenteraient considérablement – de la part des milieux financiers qui nous prêtent de l’argent –, en conséquence de quoi, au bout de cinq ou six mois, notre pays connaîtrait la banqueroute, ou ce que l’on nomme un « défaut de paiement »…
Pour ce qui concernerait le cas, certes peu probable, mais sait-on jamais… (?), consistant à voir François Fillon l’emporter en mai après une qualification d’extrême justesse lors du premier tour du 23 avril, en quoi s’agirait-il d’une autre forme de scénario du pire ? D’abord, ce serait l’arrivée à la magistrature suprême d’un homme complètement démonétisé par les affaires du Penelopegate et du Fillongate, ce qu’une grande partie des français ne supporterait pas ! Ensuite, soit François Fillon ne pourrait quasiment rien appliquer en rapport avec du programme – notamment « anti-social » – qu’il avait annoncé lors des primaires de la droite ; ce serait alors très vite l’immobilisme, l’impossibilité de réformer en profondeur notre pays (sachant que le terme de « réforme » est par définition polysémique), et nous aurions donc un quinquennat pour rien contribuant à favoriser encore la montée du Front National de Marine Le Pen ! Enfin (seconde possibilité), soit le nouveau chef de la droite pourrait rester « droit dans ses bottes » (pour reprendre une expression célèbre), François Fillon passant outre et mettant en application son programme, utilisant la méthode de la « thérapie de choc », voulant « casser la baraque » (selon sa propre expression) en gouvernant par ordonnances (c’est-à-dire hors de la présence des assemblées, ce qui ferait regretter l’article 49/3…) pendant une centaine de jours, comme le lui permettrait théoriquement l’article 38 de la Constitution ; inévitablement, il y aurait alors un très grave risque de troubles en France, allant bien au-delà de simples grèves et de manifestations, et sans doute même une sorte de guerre civile froide qui pourrait déboucher à terme sur la menace d’utiliser l’article 16 donnant au président des « pouvoirs exceptionnels »… !?
Enfin, vous savez tous que certains prétendent, bien évidemment à un niveau bien moins « grave », qu’il y aurait aussi un autre scénario du pire possible, avec l’élection d’Emmanuel Macron, qui, après l’avoir emporté éventuellement contre Marine Le Pen (ce qui semblerait quasiment certain), n’aurait pas de majorité présidentielle lors des élections législatives qui suivraient. Oui, il s’agit certes d’une possibilité. Mais, plusieurs différences fondamentales seraient à noter. D’abord, jusqu’à présent, étant donné ce que sont nos institutions depuis leur mise en place par le Général De Gaulle, dès la première élection du Président de la République au suffrage universel sous la Vème République, il y a toujours eu un effet d’entraînement après une victoire remportée par un candidat aux présidentielles, un certain nombre d’électeurs potentiellement hostiles au nouvel élu s’abstenant lors des législatives, soit par déception, soit afin de laisser une chance (une sorte de phase d’observation) au nouveau « locataire » de l’Élysée. Ensuite en admettant que cette règle subisse une première exception, un début de recomposition politique se produisant – avec l’éclatement (commencé) du Parti Socialiste et sans doute (ultérieur, mais lui aussi quasi-inévitable) du parti Les Républicains –, on aboutirait soit à la constitution progressive d’une majorité, soit, provisoirement, à des « majorités d’idées », voire « de coalitions », un peu comme en Allemagne ou dans certains pays du nord de l’Europe (?).
Pour en terminer avec cette chronique, inutile d’insister, je pense, pour tous ceux qui sont démocrates, sur le fait que ce « scénario du pire » là, à qualifier plutôt de « scénario d’accouchement » d’un nouveau paradigme ou modèle politique, n’aurait pas grand-chose à voir avec les deux précédents. D’ailleurs, pour les raisons susdites, à mon avis l’argument d’une France ingouvernable en cas d’élection d’Emmanuel Macron, utilisé essentiellement par les candidats François Fillon et Benoît Hamon, ne tient pas, sans parler de ceux invoqués par Marine Le Pen, qui, quant à elle, pourrait être touchée de plein fouet par ce phénomène, qui risquerait d’entraîner la France dans un blocage total…
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Commentaires (5)
Jean-Luc Lamouché
Sur le plan des rapports entre l'Histoire et l'Actualité, les passerelles, que j'appellerais de type "boulangiste", sont plus qu'évidentes entre Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen. J'ajoute que le segment électoral du gaucho-lepenisme (notion conceptualisée il y a déjà longtemps par le politologue Pascal Perrineau), issu de l'ancien vote ouvrier en particulier et populaire d'un point de vue général, en faveur du PC, peut très bien (il semble d'ailleurs que ce soit ce qui explique l'incontestable dynamique de Mélenchon) se retrouver sur un vote en faveur du chef de La France Insoumise. Ces correspondances furent effectivement ce qui se passa vers la fin du XIXe siècle (entre 1886 et 1891) lorsque le Général Boulanger (qui se suicida en 1891), voulant mettre en place une autre conception de la République, très autoritaire (nous étions donc alors sous la IIIème République, au moment de l'apparition d'un certain nombre de scandales ayant provoqué une montée de l'antiparlementarisme), reçut des soutiens complètement opposés, avec d'un côté l'extrême droite monarchiste provenant du légitimisme et celle nostalgique du bonapartisme le plus radical, et de l'autre l'extrême gauche socialiste révolutionnaire issue du blanquisme... Je rappelle que Louis-Auguste Blanqui, dit Auguste Blanqui, surnommé "l’Enfermé" (parce qu'il passa de nombreuses années de sa vie en prison étant donné son activisme de type quasi-insurrectionnel), né le 8 février 1805 et mort le 1er janvier 1881, fut un révolutionnaire socialiste français très radical. Non concerné par le marxisme, Blanqui est considéré par l'historien Michel Winock comme un des fondateurs de l'ultragauche française.
Ce qui ferait - selon moi - de la qualification de Jean-Luc Mélenchon pour le second tour du début mai, voire de sa victoire, un point à relier aux scénarios du pire, ce sont un certain nombre de points de son programme et de ses positionnements sur le plan géopolitiques, qui ressemblent assez souvent (mais bien sûr sans confondre) à ceux de Marine Le Pen. Prenons quelques exemples. D'abord, des dépenses considérables qui ne manqueraient pas d'entraîner notre pays vers la banqueroute - en moins de six mois. Ensuite, une inévitable sortie de la zone euro et même de l'Union Européenne, car l'Allemagne n'accepterait jamais les exigences françaises d'un Jean-Luc Mélenchon - par ailleurs presque totalement isolé pour négocier avec Angela Merkel. La sortie de l'Alliance Atlantique, qui amènerait la France à devoir faire face encore davantage pour sa Défense et celle de l'Union Européenne et nous forcerait à nous coucher de plus en plus aux pieds de la Russie de Vladimir Poutine. Puis, l'évolution de plus en plus marquée - du souverainisme vers le "social-nationalisme" - de la part du candidat de La France Insoumise. Enfin - et cela peut apparaître comme étant lié au point précédent -, des choix géopolitiques à la fois mous face à Daech et à l'ensemble des groupes de l'islamisme radical de type terroriste (Jean-Luc Mélenchon développant, comme à l'époque stalinienne, tout un discours sur "La paix", y compris par rapport à ceux qui nous ont déclaré la guerre), une sympathie plus que marquée envers la Russie de Vladimir Poutine (idole des partis d'extrême droite européens), voire à l'égard de Bachar El-Assad... J'ajoute qu'étant donné la façon très personnelle dont il se comporte (ce fut le cas par rapport au PC, puis à l'égard de Benoît Hamon et de ses alliés écologistes), qualifié pour le second tour, il n'aurait aucune chance de disposer d'une majorité parlementaire lors des législatives de juin...
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Jean-François Vincent
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Jean-Luc Lamouché
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Jean-François Vincent
Oui, en plus des horreurs que vous évoquées fort justement (heurts lors des inévitables manifestations qui suivraient son élection, avec des morts genre Malek Oussekine), il y aurait un inconvénient auquel on ne pense pas – certes peu de chose à côté du sang répandu - mais qui pénaliserait beaucoup tous ceux qui vivent à l’étranger (comme moi) : le contrôle des changes ! Interrogé sur ce point, Florian Phillipot assure crânement qu’il n’en est pas question ; mais MLP ne pourrait pas faire autrement : ce serait, en effet, le seul et unique moyen de freiner la chute en vrille du « franc nouveau » qui ne manquerait pas de se produire. Et j’en sais personnellement quelque chose : j’étais en Angleterre, comme assistant de français, lorsque Mauroy instaura le contrôle des changes, lors du tournant de la rigueur de 1983. Cartes bancaires bloquées. Impossible de retirer de l’argent dans un guichet automatique ou de payer quoi que ce soit électroniquement…mes parents en étaient réduits à m’envoyer – illégalement ! – du cash par la poste. Heureusement, maintenant j’ai aussi une carte de crédit belge, mais quand même…
Quoi qu’il en soit, nous n’assisterions en aucun cas au grand soir, à ce mythique trou noir qui pétrifie une gauche indûment apeurée : MLP ne procéderait à aucun 18 brumaire ou autre incendie du Reichtag. Elle s’en irait tôt ou, tard, et plutôt tôt que tard.
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Jean-Luc Lamouché
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