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« Débordements, sombres histoires de football 1938-2016 »

13 histoires. Au football on aurait pu penser 11 mais les auteurs de ce livre ont dû y ajouter l’arbitre et le public, qui jouent un rôle souvent capital et dans le jeu et dans les « sombres » histoires qui constituent ce recueil. Sombres est le moins qui se puisse dire de la plupart des récits rapportés ici. Certains très connus de tous (au moins par ouï-dire, comme le « Calciopoli » (1) de 2006 qui vaudra à La Juventus de Turin – et à d’autres clubs italiens – des sanctions graves et le purgatoire de la relégation). D’autres bien connues des footeux seuls, comme les magouilles autour de la coupe du monde 1978 en Argentine, où le gouvernement putschiste de Videla n’entendait pas que « sa » coupe échappe aux Albicélestes (2). Et d’autres enfin, méconnues de tous (ou presque) comme la trajectoire brillante et funeste du joueur soviétique Eduard Streltsov, ou la sinistre histoire d’Alexandre Villaplana, premier capitaine d’une équipe de France sélectionnée en coupe du monde (en Uruguay 1930), et qui finira fusillé pour collaboration avec l’ennemi : « L’air est glacé, ce matin du 26 décembre 1944, lorsque les condamnés sont acheminés au fort de Montrouge. Le peloton d’exécution patiente. Douze fusils prêts à donner le coup de grâce. Pas un mot ou presque. Les infâmes réprouvés sont sévèrement ligotés aux poteaux. Les balles sifflent de concert. Alexandre Villaplana, 40 ans tout juste, dit Alex Villaplane, s’affaisse pour la dernière fois. L’ancien premier capitaine de l’équipe de France de la première coupe du monde n’est plus ». Totalitarismes (URSS, Corée du Nord, Argentine des généraux, Serbie), attrait du gain (Affaire OM-Valenciennes, Calciopoli), destins héroïco-tragiques de joueurs fabuleux, Matthias Sindelar (Autriche), Eduard Streltsov (URSS), Tony Adams (Angleterre), Rachid Mekhloufi (St Etienne puis « équipe FLN »), les ombres et les lumières ne manquent pas dans ce sport qui attire sur lui toutes les paillettes des médias. Ou plutôt, et c’est ce qu’illustrent superbement les auteurs de ce livre,  parce qu ’il attire les lumières des médias et le regard de millions (milliards) de spectateurs. Le foot est trop juteux, en termes d’argent et de pouvoir sur les foules, pour ne pas être l’objet de l’intérêt d’une troupe de brigands politiques ou financiers. Et les joueurs en sont les exécutants, parfois honteux, parfois magnifiques, comme ce joueur autrichien, Matthias Sindelar qui, sous les yeux d’Adolf Hitler et des dignitaires nazis, ose l’impensable : faire gagner son équipe d’Autriche, lors du match de gala destiné à fêter l’Anschluss (AnschlussSpiel, 3 avril 1938), et où le Führer a ordonné en coulisses aux joueurs de faire match nul. « Lorsque à la 70 ème  minute, « Mozart » (3) en personne siffle la fin du simulacre. Il s’élance, s’appuie sur un partenaire et conclut d’un but, après un une-deux espiègle dans un silence de cimetière. L’historien autrichien Wolfgang Maderthaner résume l’aplomb de l’attaquant vedette dans cette atmosphère hostile : « Les autorités nazies n’ont rien laissé au hasard : les Autrichiens n’ont pas le droit de marquer… Brusquement, Sindelar brave l’interdit. But !… Alors il lève les bras, poings serrés, en signe de victoire ». Quelques acclamations ponctuent son geste, aussi timides qu’anonymes » (4). Le panthéon du football est ainsi fait, traversé de comètes brillantes, lézardé d’affaires sordides, assombri par des personnages ignobles comme Luciano Moggi, l’un des acteurs principaux des trafics d’influence sur les arbitres italiens lors du Calciopoli. Olivier Villepreux le dit fort bien dans son préambule : « Si le football de haut niveau ou professionnel n’est pas une culture, il entre tout de même dans la culture, au sens où il propose à la place d’une simple activité sportive une tragi-comédie permanente, dont les personnages, véritables dieux païens, ont les faiblesses de la multitude ». Miroir des sociétés, le football n’est pas pire ou meilleur qu’elles. Il en est le reflet, le produit, avec ses moments magnifiques qui peuplent nos mémoires (comme la victoire des bleus en 1998) et ses viles bassesses – nous en avons encore une sous les yeux avec la honteuse affaire de corruption à la tête de la FIFA. La lecture de ce livre est captivante de bout en bout et, tout en soulignant les zones d’ombres du sport le plus populaire du monde, ces récits vibrent de la passion profonde qui anime bon nombre d’entre nous.   Léon-Marc Levy   (1) Au printemps 2006, peu avant le mondial en Allemagne, le scandale éclate à la suite de la publication dans la presse italienne ( La Gazzetta dello Sport  et  Il Corriere della Sera ) de compte-rendu d’écoutes téléphoniques ordonnées par la justice deux ans plus tôt. Le public prend connaissance des conversations de Luciano Moggi, directeur général de la Juventus, et Pierluigi Pairetto, ancien arbitre, chargé par la fédération italienne de football de sélectionner les arbitres pour les rencontres de championnat entre 1999 et 2005. Lors de ces échanges, Moggi aurait donné ses instructions pour la désignation des arbitres pour les matchs de son équipe (Source Wikipédia). En plus de la Juventus, les équipes de l’AC Milan, La Fiorentina, la Lazio de Rome, la Reggina seront également mises en cause et sanctionnées. (2) Surnom de l’équipe nationale argentine en raison de la couleur bleu ciel et blanc de leur maillot. Pour pouvoir se qualifier pour les 1/8èmes de finale, l’Argentine devait battre le Pérou au stade de Rosario par au moins 3 buts d’écart. Les Argentins l’emportèrent par 6 à 0, après un match « de la honte », où les péruviens ne jouèrent que pour figurer. Le Brésil fut éliminé par la même occasion. (3) Surnom de Matthias Sindelar. (4) D’ailleurs le match se terminera par la victoire de l’équipe autrichienne sur l’équipe allemande sur le score de 2 à 0.   Débordements, sombres histoires de football 1938-2016 , Olivier Villepreux, Samy Mouhoubi & Frédéric Bernard, Editions Anamosa avril 2016, 270 pages, 17,50 €

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