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« Fiersdetrebleus » en 2016 : une soudaine gravité.

Pétante, l’affiche officielle, avec ses airs de 98-revenez-y. Bleue, forcément. Les gars sont sérieux, font presque plus que leur âge ; on est loin – en foot, aussi – du côté fête à tous les étages du Mundial 98, même de la coupe ratée de si peu la fois d’après. Le rire n’habite plus « Les  yeux des bleus », comme disait à son heure devenue  sépia, un bien beau documentaire. Le rire, non, le sens de ce qu’on fait, à son niveau, chapeauté par un Didier Deschamps, qui a tout, et de plus en plus, du grand entraîneur. « Responsabilités, gravité » – mots incongrus dans le monde ballon – voilà ce qui m’amène… Le foot, j’aime, mais plus affectivement, que techniquement. Dans ce «  Ma vie foot  », si loin derrière, qui fut, je crois, ma première chronique posée dans RDT, j’avouais quelques faiblesses côté lecture des hors-jeu. Mes progrès, de fait, demeurent plus qu’aléatoires ; la classe-foot, côté rédaction, c’est encore loin. Et, puis, j’aime surtout voir jouer l’équipe de France, plus que les – parfois, excellents – matchs des équipes des coupes et autres ligues. Par moments, je vis ça d’ailleurs avec interrogation surprenante : possible fond souverainiste coloré Chevènement ?? Inquiétude ! Toujours est-il que demeure intacte, alors que s’ouvre l’Euro 2016, l’émotion de la pelouse, des péquins en tous sens et deux couleurs, du ballon, de la cage, surtout, et de son gardien – une préférence avec les attaquants, comme il se doit pour le genre ravie des tribunes, auquel je consens à me rattacher. Ces respirations collectives – ce souffle court, qui s’élance en nous avec le ballon en partance ; ce silence (mais que sauront jamais du silence ceux qui n’aiment pas le foot !) des tire-au-but… ces satisfactions quasi personnelles quand ils gagnent, ces souffrances, autant que frustrations insupportables quand ils auraient dû gagner, cette terrible impression de tête basse, de mauvaise note quand ils perdent. Que saurons-nous de nous, quand il n’y aura plus « le match, ce soir » ? Mine de mine, sans tapages excessifs, les « petits » Bleus de cet Euro – qui vont devenir grands – n’ont cette année, perdu qu’un match, loin en ce sinistre novembre 15 ; la canonnade infernale continuait de battre en eux, j’allais écrire « heureusement » ça les honore… Et puis ils ont gagné – pas toujours formidablement, mais gagné, ce qui vaut loi en sport. Gagné bellement comme l’autre soir face à l’Écosse. Sans forfanterie, avec l’esprit d’équipe, qu’on croyait ne plus faire partie du bagage, sérieusement, et arborant dans l’œil ce sens voulu des responsabilités ; pas plus, pas moins. Eh bien, cette équipe-là, je l’achète d’entrée, qu’elle gagne ou non, demain, dans les stades aux couleurs de l’Euro, parce qu’elle « est » le temps qu’on traverse, qu’elle peut symboliser nos demains qui risquent de ne chanter qu’à bas bruit. Comme la politique, le sport – celui des grandes affiches – porte du symbolique, puisque, comme la politique, il parle à la Cité, à tous. Au collectif. Enfin, il devrait. Il arrive qu’il puisse porter tout un peuple, ses rêves et ses cabossages ; ainsi de 98, ses manières d’extases que d’aucuns – pas moi ! – ont trouvé ridicules. Le « black, blanc, beur » de cette époque était certes un rêve hors sol : qui aurait pu croire que ces maillots et ce ballon allaient – clic-clac – contribuer à faire bouger magiquement les lignes dans un tissu sociétal déjà mité. Simple comme et 1, et 2, et 3 ? on rigole. Qui aurait parié sur l’effet-foot ? Quelques-uns, pourtant, qui se sont dit alors : voilà quelque chose qui va causer à nos gamins de banlieues et plus, à ceux d’ailleurs ; voilà quelque chose – pas grand-chose – qui va aider le travail des enseignants et notamment – permettez ! – en Histoire, un rien en devenir de tout, qui va tracer. Moi, je continue de croire que le temps n’a pas été totalement perdu là, mais qu’on demande toujours trop à une armée de petits signes. Et c’est ce qui me plaît dans le regard des Bleus et de leur coach, et de leur capitaine, ce juin-ci : l’armée des petits signes reprend du service en sachant à peu près ce qu’elle est. Et c’est cet «  à peu près » revenu des éthers qui change tout. Face à un terrain en friches, un terrain où pas un ballon, fusse-t-il de foot, n’oserait atterrir… L’État d’urgence, d’abord, et sa compatibilité incertaine avec les grands rassemblements de foules, ces stades peuplés, éclairés, partout appâteurs de kamikazes, pire, ces espace-fans – scènes ouvertes si difficiles à surveiller. Un chiffon rouge que l’Euro, plus délicat encore que la Cop 21. Du monde, du « beau » monde, des foules et tant de jeunes rassemblés, offerts ? S’il y a eu des gens haut placés pour déconseiller la tenue de ce grand moment, ce ne fut jamais le cas du Président, qui n’a eu qu’une seule ligne : on joue, et on surveille. Qu’on mesure là encore le prix possible de ce pari. Autrement dit, le choix de la fête, donc de la vie face à la mort portée par le Djihad. Sacré message confié aux Bleus ; beau symbole et sans doute, là, une partie du sens de ce regard sérieux et mesuré de l’équipe. Dans la foulée de ce premier temps – disons, court – de la compétition, un temps beaucoup plus long, non moins fondamental : celui des valeurs que seul le sport à ce niveau peut diffuser. Le vivre ensemble repassé sous la toise de l’année 2015 ; vaille que vaille, chacun apportant sa pierre dans une modestie de tous les jours ; l’équipe Deschamps – une grosse moitié de joueurs issus de la diversité – en est une image qui a quitté le triomphal un peu arrogant des années 98, pour se poser, tels quels, dans une société qui veut gagner, et par là même, porter une forme de volonté de vivre malgré… Image sportive, image sociale et politique. Qu’un Karim Benzema, dont le talent manquera, ait tenté de détourner  la composition des équipes, de façon brutale et non productive, ne change pas grand-chose à l’affaire. Et puis cette « vertu », la fierté. On sait à quel point elle est partie prenante de la culture arabo-musulmane, et de celle des gens des Sud en général, alors que chez nous, elle fait désuet, romantique, voire médiéval. Elle veut dire solidarité, fidélité, soutien, bien plus que frénétique affiliation à une couleur ; chauvinisme encore moins. « Fiersdêtrebleus », du coup, se fait pédagogique, et tient à distance les violentes tribunes de Hooligans de tous poils. L’Euro, enfin – surtout, même : une compétition de haut vol portant le drapeau, les valeurs de l’UE, à un moment plus que difficile de son histoire et des représentations qu’elle engendre. A quelques encablures de la menace du Brexit, aussi. Tenter, par ce jeu, ce tournoi, ce ballon simple et rond comme l’espoir,  de déconstruire des représentations qui s’enkystent depuis plusieurs semaines : le pays «  à feu et à sang » ? Déchiré définitivement ? Ballotté de crise sociale en grèves et blocages ?  En fait, plus de pays, plus de « ensemble » ; apocalyptique comme printemps en France ? Croyez-vous ?? Au fond des cages, les valeurs de la République ; on délire, ou on entrevoit quelque chose ?  Tout ça, comme ça, dans ce ballon et ces jeunes joueurs, dont on attend tellement plus qu’une place en finale, ce qui n’a pas de prix : se sentir d’un pays qui garderait encore du sens, de cette société qui existerait encore, en être fier, le temps de quelques matchs, et puis dans le chantier d’après. Une bien haute mission sociale autant que sportive que mène ici Didier Deschamps.  Un «  Allez les bleus », sur un mode différent des autres compétitions, tellement plus nécessaire.

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