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Pas de liberté sans solitude

  Tout le monde connaît cette petite énigme, où il s’agit de réaliser quatre triangles équilatéraux avec simplement six allumettes ; la solution consiste à sortir du plan du papier et à exploiter la troisième dimension de l’espace, pour disposer les allumettes selon un tétraèdre régulier. Alors, on peut naturellement penser que tout ce qui nous semble impossible à réaliser dans notre réalité concrète habituelle, peut l’être dans une réalité augmentée d’une ou plusieurs dimensions, auxquelles on ne songe pas au premier abord. Nous sommes mortels ? Qu’à cela ne tienne, nous aurons la vie éternelle dans un éventuel paradis, ou bien nous nous réincarnerons en fleur ou en hibou. Ici, bien sûr, la dimension supplémentaire est symbolique ou imaginaire, qualifiez-là comme vous voulez, mais elle permet tout de même de répondre à la question posée. On voit ainsi clairement le lien étroit existant entre liberté et créativité, qui semblent aller de paire, comme les bœufs d’un attelage de jadis. Qui veut créer doit prendre des libertés, sans quoi il reste un copiste ou un plagiaire, et qui veut être libre se doit aussi peut-être quelque part de faire quelque chose de sa liberté, pour lui donner un sens. Dans le sens direct, on me l’accordera sans trop de difficultés, alors qu’à l’inverse, on peut me rétorquer que la liberté est sans obligation, sans aucun devoir, et on aura raison ! Alors, rectifions le tir, pour affirmer qu’il n’est pas de créativité sans liberté, mais qu’on peut être libre sans pour cela être créatif, ou bien, si créativité il y a, c’est de faire de sa vie comme un poème, sans chercher à le matérialiser sur le papier ou dans la pierre. Adieu les deux bœufs, alors, que nous renvoyons au temps jadis avec le bouvier, leur maître ! Tout ça pour dire que les mots et les images, nous en faisons ce que nous voulons, et que si ça n’est pas possible, il nous reste à en inventer de nouveaux, pour notre usage personnel, tout comme le font certains schizophrènes. A ce propos, on voit quel carcan est le nôtre, à devoir respecter cet héritage commun que sont le vocabulaire, l’orthographe et la syntaxe ! Il faudrait pourtant apprendre à les sodomiser, pour leur faire rendre enfin quelque plainte véritablement humaine, qu’elle soit de plaisir ou de douleur ; pas vrai, mec ? Nul ne devrait mourir sans avoir connu la joie de créer ne serait-ce qu’un néologisme ; imaginez-vous un milliard de mots nouveaux sur une durée de trente ans, est-ce que ça ne vaudrait pas le coup ? Vous n’êtes pas convaincus, vous vous dites que ce serait un vrai bordel, que l’ordre du temps que nous connaissons n’aurait alors plus les moyens de se perpétuer, et vous avez encore raison. Voilà pourquoi les mots nouveaux nous viennent tantôt de la rue, par la force des choses, tantôt d’auteurs reconnus, comme cette « négritude » de Senghor, qui comble une lacune qui faisait souffrir des millions de gens. Après tout, si la liberté a tant de prix, c’est justement parce qu’elle est si rare. Si la majorité était libre et vivait librement, ce serait l’embrigadement qui fascinerait les hommes, non ? Bon, ça n’est pas le cas, tout simplement car le corollaire de la véritable liberté, c’est la solitude, et que ça, ça fait vraiment peur. Dans le grand voyage, il faudrait pouvoir emporter son amour, femme ou homme, et ça, ça n’est pas gagné, car dès lors qu’on est deux, les compromis sont nécessaires, et Adieu la liberté. Alors, ça voudrait dire que l’on ne peut être libre que seul ? Je ne vois pas comment il pourrait en être autrement, pour ma part. Qui vole au vent comme la plume, ne fait qu’effleurer les gens et les choses, sans leur imprimer sa marque, ni les asservir ou les obliger d’aucune manière…   Gilles Josse

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