Actualité France 

Une louche de « fonctionnaires-bashing » pour l’été ??

On comprend bien le mécanisme. Il a quelque chose de la bonne vieille pédagogie structurale : cause, conséquence, flèche rouge, flèche verte. Crise, chômage, insécurité économique et têtes en folie ; ajoutons l’inévitable dose de fantasmes courant la poste, et, en embuscade, le bouc-émissaire. Voilà, on y est. Ces temps-ci, on renifle partout ce fumet qui vieillit mal et sent très vite fort, comme un gibier sorti trop tôt du frigo ; mieux – pire ! On en parle ouvertement ; débats abondants ici, et là ; comparaisons entre pays qui « en ont », et ceux qui font moins dans le produit. Alter-services publics passés à la loupe. Un ton nouveau, qui sonne comme une rengaine raciste et, parfois, peut même se colorer dans un début prometteur, de ces couplets antisémites des années 30. Dans la panoplie des anti, chaudement couvé par l’anti-parlementarisme et l’anti-intellectualisme, l’anti-fonction publique, pousse comme chiendent en jardin humide. Pas plus tard qu’hier, notre France Inter national rendait compte, en un moment interactif, de l’affaire de la TV grecque censurée par le gouvernement conservateur. D’aucuns (au pluriel, s’il vous plaît) de réagir : mais, enfin ces gens « payés par nos impôts », chez nous, notre TV publique, faut-il continuer de les « engraisser » sans mesure ? Bref, un fonctionnaire a-t-il, au fond, une quelconque utilité, voire légitimité ? Question – visiblement, le journaliste en restait muet – décomplexée, brutale et inquiétante. Faut-il, par ailleurs, rappeler que la chanson « écrémer la fonction publique » continue de hanter les meetings de la Droite parlementaire, après avoir parfumé la campagne de N. Sarkozy, dans la partie grosse caisse de l’orchestre. Donc, en ces lourds temps de crise, où chacun est prié de se serrer la ceinture, les fonctionnaires ; leurs us et coutumes, leur fainéantise estampillée, leur traîne de privilèges, leur rigidité notoire, et… évidemment leurs retraites, sont approchés du microscope dans une urgence quasi médicale. Peuple semblant innombrable, à la fois trop connu et encore mystérieux, que cette fonction publique, dont on pourrait croire, à en entendre certains, qu’il n’y a bien qu’en France, que l’espèce pousse bien ! Que mettre dans l’engeance ? Les soignants de l’hôpital, qui nous font attendre dans la queue des urgences ; la puissante Éducation Nationale – les préférés des contempteurs – au nom de l’élève qu’ils furent, et du prof détesté qu’ils subirent ; ceux des trains, c’est-à-dire des retards et… madame ! des grèves ; les planqués d’EDF, et de GDF, tous « arc en ciel » mélangés, pour mieux nous tromper ; ceux dont on murmure que jamais en leur chaumine, ne vient aucune facture… heureusement que « les France Télécom » apprennent à marcher droit chez Orange, prince du Privé s’il en est, et puis, une pincée de gardiens de prisons, d’archives et autres bibliothèques ; mettez ces journaleux de la TV en bout… vous aurez déjà de quoi fourbir quelques broches. Le fonctionnaire a, plus que tant d’autres tranches sociétales, le chic pour alimenter le fantasme, la rumeur, le « mais, vous ne savez donc pas qu’à la SNCF, ils… ». Il est pourtant recruté sur concours, on ne peut plus transparents, auxquels tout un chacun peut se présenter en remplissant des critères de diplôme et de nationalité ; on sait exactement le grade, la fonction, le salaire, le montant des primes chiches, du reste… serait-ce ce trop plein de connaissances de la vie de l’espèce qui agace ? Curieusement, les modes de recrutement du Privé, les coutumes, variables comme costumes régionaux des temps anciens, le clair-obscur de l’échelle des émoluments… le salaire des Patrons (non ! hors sujet), et, enfin, la déclaration au fisc de l’arsenal, tout cela, in fine, émoustille moins l’imaginaire. Mais il y a dans la balance le mot « vie », lourd symbole ; emploi-à-vie (accessoirement, il y a « quelques » contrôles et inspections ; des rayés des cadres, mais, visiblement, on le sait peu). Le fonctionnaire boulonne, à petites foulées, mais, est sûr de le faire, jusqu’à sa retraite. Presque un sketch ; s’économiser, car la route est longue. Le mieux, disait mon père, non fonctionnaire, c’est un ménage d’instituteurs, car, concédait-il, ça gagne peu, pour un seul salaire. Image balzacienne d’un statut synonyme de planque, de paresse intégrale, quasiment de Vichyste face à la Résistance active, inventive, et, surtout, preneuse de risques. Certes, que la carrière, tranquille et sans grand heurt, du « petit professeur de collège » – en milieu rural, s’entend –, comparée aux désastres possibles ailleurs, apparaisse comme le must en ces périodes de turbulences ; qui ne le comprend pas ? En tous cas, que l’image, la représentation qu’on s’en fait fasse quasi rêver, cela semble aller de soi. Que ce soit pour soi, mais encore plus pour ses enfants – instinct de protection parental obligé. Cet apparent parapluie – couleur passe muraille – pas vraiment séducteur mais rendant son chaud service de pare grêle… ces petits travaux « pénards », ces vacances… et, on y revient, cette retraite, surtout qu’avec le « ménage d’instits » cher à mon père… parce que, le sujet des retraites est, sera – démographie et état du porte monnaie aidant – « le » sujet sociétal du demi-siècle en cours. Et, que celle(s) des fonctionnaires est un bouquet d’interrogations coléreuses. N’est-ce pas là qu’on déniche ces régimes spéciaux, dont la SNCF est un représentant goûteux, qui panachent avec grâce, les durées de cotisation allégées, coiffant de menus autres avantages, tous propices aux cris des autres, ce « rest » aurait dit le regretté Reagan. La pension n’était-elle pas calculée, chez nos fonctionnaires, non pas sur les 20 meilleures années, mais sur les 6 derniers mois, hors primes. Forcément, plus appétissante. Le gouvernement, du reste, attentif à la violence de certains symboles, envisage, malgré quelques archaïques cris, de remédier à cela. Beaucoup feignent de s’étonner ; d’autres d’en chercher une des causes dans l’action passée résistante et méritante de tel secteur, plus sûrement, dans l’importance et le travail constant et régulier des syndicats, et depuis longtemps. Vrai, cela ; âpre comme les chiffres qui étayent la situation actuelle, mais à nuancer, fortement. Nous n’avons pas toujours été dans une crise de l’ampleur de celle d’aujourd’hui ; il n’a pas toujours plu à verse ; il y a eu des saisons chaudes, avec les grandes journées de plein emploi des 30 Glorieuses, les années 70 et leur confort du marché du travail, la poussée des formations scolaires et universitaires, accouchant de leur lot de diplômés. A l’époque, où j’entrais dans l’Éducation Nationale, dûment qualifiée, nous avions tous des camarades boudant – à diplôme égal – le métier de professeur, qu’on daignait laisser aux héritiers des hussards noirs, aux doux soixante-huitards, la vocation errant entre barbe et robe à fleurs. On faisait alors des carrières fulgurantes dans le Privé ; les salaires volaient en altitude, au-dessus des points d’indice de nos feuilles de paye ; le chômage, notamment des cadres, ne menaçait pas encore… bref, la différence Privé Public avait un parfum d’aventure et de tiroir-caisse sonnant, et il fallait – c’était justice – donner des gages au Public, pour le rendre ou le garder alléchant. Situation inversée de nos jours… mais l’Histoire et la mémoire sont bagages in-négociables pour qui veut observer l’évolution de sa société. Pour autant, qui dit fonction publique, dit – est ce banal ! – service public. Donc, au service du public ; on sert l’État partout sur le territoire – hum, gendarmes et professeurs ! On accueille le public, quand il est libre – souplesse des horaires (que de réunions parents-profs en début d’après midi !). Et chacun d’entre nous de nourrir la liste… Cela, aussi, sera demain dans les « nouveaux us et coutumes » de notre fonction publique, à seule fin de rendre, donnant-donnant, ce beau service public, et, enfin, de sortir des cauchemars représentatifs, et des scissions interprofessionnelles dont notre tissu social actuel n’a aucun besoin.

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